On ne vous apprend rien, l’univers de la gastronomie est rude, physique et majoritairement masculin. A l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, nous avons souhaité mettre à l’honneur celles qui sont parvenues à se frayer un chemin dans ces cuisines si masculines.
Une cuisine de restaurant, c’est avant tout une hiérarchie très marquée, un vocabulaire tiré du domaine militaire et une ambiance petit soldat au garde à vous. De manière contradictoire, l’inconscient collectif estime que la place d’une femme est davantage à la cuisine de son foyer que celle d’une cuisine d’un restaurant.
L’image de la femme est bien souvent associée à la douceur et une certaine forme de fragilité, du moins physique, alors que les métiers de la gastronomie mettent les corps à l’épreuve. Le quotidien d’un cuisinier c’est d’être soumis à de fortes chaleurs, de grandes quantités de produits à déplacer et des marmites géantes à vider où encore de se brûler avec un plat et se couper avec ses couteaux.
« Nous étions vingt commis pour trois places, il fallait savoir s’imposer. J’ai donc occupé le terrain quasiment jour et nuit durant une semaine, en ne mangeant qu’une pomme et en carburant au Guronsan. A cette époque, l’apprentissage se faisait à coups d’insultes et de coups de pied aux fesses.»
Eric Guérin
De plus, les horaires de travail d’un chef et les services à rallonge excluent une grande partie des instants du quotidien tels que les repas, les week-ends qui semblent incompatibles avec une vie de famille ou de couple et donc incompatibles avec les rôles de la femme au sein du foyer et de la famille.
Pourtant, cette délicatesse inhérente à la féminité se révèle avoir bien des avantages en cuisine tels qu’un raffinement dans les associations de goûts et les dressages ou encore une autre vision du management et de l’organisation au sein de la brigade.
Preuve en est, ce métier attire de plus en plus de jeunes femmes. L’école Ferrandi, centre de formation des futurs grands chefs dans un environnement de travail exceptionnel de 25 000 m² en plein coeur de Paris accueille chaque année 50% d’étudiantes. Les professeurs sont issus de maisons prestigieuses et les élèves réalisent des stages dans les meilleurs restaurants de France. Ces jeunes filles sont inspirées par la médiatisation actuelle du métier, leur passion ou encore attirées par des parcours de réussite 100% féminins !
Cependant, ces dernières se font rares au fur à mesure que sont gravis les échelons. Les femmes accèdent difficilement aux postes les plus toqués, chasse gardée de la gent masculine.
Les « mères lyonnaises » Eugénie Brazier et Marie Bourgeois sont les premières femmes à avoir obtenu trois étoiles au guide Michelin dans les années 30. A suivi Marguerite Bise en 1951 et aujourd’hui Anne-Sophie Pic. Sur les 616 tables primées par le guide Michelin en 2017, seules 16 sont tenues par des femmes. Le Gault & Millau ne fait pas exception et ne nomme que 7 femmes chez les 28 jeunes talents du guide 2018 (France). Anne-Sophie Pic est quant à elle la seule reconnue parmi les “85 grandes toques” de ce dernier. Malgré ces écueils, les femmes tracent leur chemin au sein de cette profession. En revanche, sur 75 nouvelles étoiles Michelin en 2019, 11 d’entres elles ont été remportées par des femmes cheffes. Cela équivaut à 16% de lauréates, c’est encore peu mais c’est tout de même une belle progression. Les femmes s’imposent petit à petit dans la sphère culinaire : en France, elles ne sont pas moins de 600 à cuisiner chaque jour dans des cuisines professionnelles.
Pourquoi un “taux de transformation” si bas entre les bancs de l’école et les commandes des cuisines étoilées ?
Comment expliquer le fait que la parité au sein des écoles de cuisine ne soit pas transformée dans les cuisine des grands restaurants ? Quelles solutions apporter à cet univers emprunt d’histoire et de tradition afin de faciliter l’accessibilité des femmes aux fourneaux de plus belles tables ? Au quotidien, les femmes sont à 93 % celles qui se chargent de la cuisine à la maison. Les métiers de la cuisine attirent désormais les femmes qui ne voient plus en cette dernière une énième tâche ménagère mais bien un moyen d’expression, un art et un talent qui se doit d’être reconnu et s’apprend sur les bancs de l’école. En cuisine, on compte 3 femmes pour 14 hommes au sein des brigades.
«La profession reste encore largement masculine avec des codes très masculins. Dans les brigades, l’organisation est militaire, le rythme compliqué, le travail dur et la hiérarchie très marquée. Il y a deux ans, lors d’une conférence sur les violences en cuisine, plusieurs femmes chefs avaient avoué avoir été testées sur leur « résistance »
Franck Pinay-Rabaroust
Les femmes, de par leur physique, sont considérées en cuisine comme fragiles et n’ayant pas les ressources physiques suffisantes pour tenir une casserole remplie d’eau bouillante, déplacer de grandes quantités de produits ou encore manipuler un couteau tranchant de grande taille.
En effet, travailler en cuisine est un choix qui demande certains sacrifices. Travailler quand les autres s’amusent, ne pas compter ses heures, et, de fait, effacer une partie de sa vie personnelle. Voulu ou non, rester chez soi et entretenir la maison est davantage une affaire de femmes que d’hommes ; et une carrière de chef ne le permet pas.
« La cuisine est une forge où l’on passe une grande partie de sa journée, dans une ambiance de salle d’armes ou blagues salaces et insultes rythment les services », reconnaît Marc Meneau, chef étoilé de L’Espérance à Vézelay.
Historiquement, l’apprentissage de la gastronomie est emprunt d’excellence et s’est toujours fait dans la douleur, sous les ordres d’une hiérarchie à tendance tyrannique. Il n’est donc pas étonnant que les chefs, ayant pour la plupart subit certains traumatismes lors de leurs apprentissages respectifs reproduisent à leur tour ce type de comportements. De plus, les concours professionnels sont monopolisés par les hommes. Ces concours sont de véritables accélérateurs de carrière attestant du savoir-faire du vainqueur à vie. Le fait qu’ils soient dirigés par des hommes freine l’ascension des femmes. Pour exemple le nombre de femmes primée Meilleur Ouvrier de France se compte sur les doigts d’une main…
«Elles sont très douées, elles ont le sens du détail, du raffinement et de l’élégance, notamment dans la pâtisserie»
« Elles sont souvent plus délicates dans leurs associations, dans leur dressage et même dans leur organisation»
«Il est vrai qu’au sein des brigades, les femmes adoucissent les hommes, forcent le respect et managent différemment leurs équipes»
«Elles temporisent le taux de testostérone”Cédric Grolet – Chef pâtissier du Meurice élu Meilleur chef pâtissier 2016.
La médiatisation de la discipline a aussi donné des ailes aux femmes. En effet, les émissions de téléréalité à l’instar de Top Chef, MasterChef … ont permis de promouvoir le secteur d’activité mais aussi de mettre en avant le côté glamour et tendance de la gastronomie parfois poussiéreuse.
De ce fait, cela a attiré une nouvelle génération de femmes ; des cheffes, des commis trentenaires fermement décidées à ne plus jouer les seconds rôles prenant comme modèles Anne-Sophie Pic, Ghislaine Arabian, Hélène Daroze aujourd’hui membre du jury « Top Chef » ou encore Julie Andrieu qui anime sa propre émission de cuisine sur TF1 – France 3 et Teva.
Cette visibilité a permis de mettre en lumière leurs capacités de création, de technique tout comme leur esprit de compétition et de management. Quelques portraits de ces femmes qui se sont hissées au sommet :
Issue d’une famille de restaurateurs, Hélène Darroze grandit dans l’auberge de son arrière-grand-père Le Relais, à Villeneuve-de-Marsan.
Bien décidée à suivre les pas de ses prédécesseurs, Hélène Darroze entame des études à Sup de Co Bordeaux afin de maîtriser les rouages de l’hôtellerie et la gestion d’une entreprise. Son diplôme en poche, la jeune femme passe trois années en cuisine auprès d’Alain Ducasse, qui devient son mentor, dans le prestigieux restaurant Louis XV. Alors qu’elle se dirigeait vers l’administration de l’établissement, Alain Ducasse l’encourage à se mettre aux fourneaux, décelant en elle un potentiel rare.
En 1993, elle reprend le restaurant familial Chez Darroze. Le succès ne se fait pas attendre : elle est récompensée deux ans plus tard en devenant Jeune chef de l’Année en 1995.
Souhaitant voler de ses propres ailes, Hélène Darroze revend le restaurant familial afin d’implanter son nouvel établissement dans la capitale, Hélène Darroze. Ayant elle-même été victime du machisme régnant au sein de sa profession, elle tâche d’employer autant de femmes que possible. Le restaurant ne désemplit pas, et est sacré un an après son ouverture par une étoile au guide Michelin. Elle en obtient une seconde entre 2003 et 2010.
Parallèlement à son propre restaurant, Hélène Darroze met son talent au service de l’hôtel The Connaught, restaurant londonien pour lequel elle est également étoilée en 2011. Elle participe par ailleurs en 2015 à l’émission Top Chef.
Stéphanie grandit dans une famille gastronome et gourmande. Adolescente, elle suit des études au lycée hôtelier Albert-de-Mun, à Paris et obtient son BTS.
En 2001, la jeune femme débute sa carrière au restaurant Le Cinq du George-V à Paris auprès du meilleur ouvrier de France, Philippe Legendre. Passionnée et déterminée, elle devient sous-cheffe auprès d’Eric Briffard. En 2006, elle part travailler dans le Var, au domaine de Terre Blanche pour le groupe Four Seasons avec le meilleur ouvrier de France, Philippe Jourdin.
On la découvre sur M6 en 2011 où elle devient la gagnante de la seconde saison de Top Chef.
Puis, elle devient cheffe en 2013, du restaurant La Scène, dans l’hôtel cinq étoiles, Prince de Galles. En janvier 2019, elle obtient une seconde étoile au guide Michelin et quitte sa place de cheffe, après l’obtention de la seconde étoile.
La cheffe doublement étoilée souhaite revenir à ses débuts avec une cuisine simple et familiale, tout en laissant une place de choix, à la créativité et au produit. Elle décide de se consacrer alors à un projet personnel : l’ouverture de son propre restaurant également appelé La Scène, récompensé de 2 étoiles au Michelin 2020.
Née d’un père français et d’une mère britannique, Alexia Duchêne grandit à Paris et prend goût à la cuisine dès l’enfance. A 15 ans, elle abandonne ses études en seconde générale et reprend l’année suivante une seconde en filière professionnelle cuisine au lycée Jean Drouant (école hôtelière) à Paris. Après son bac pro Alexia Duchêne passe un CAP Pâtisserie à l’école Ferrandi, puis commence un BTS de Management Hôtellerie-Restauration à Ferrandi et un travail en alternance chez Taillevent, restaurant deux étoiles à cette époque.
Début 2016, elle interrompt ce cursus et part à Londres travailler avec Greg Marchand à Frenchie Covent Garden. De fin 2016 à fin 2017, elle enchaîne plusieurs expériences : elle travaille avec Simon Rogan au Fera at Claridge’s (une étoile Michelin), puis part à Copenhague se former à Studio (une étoile Michelin) avec Tortsen Vildgaard, ancien second de Noma.
Enfin, de retour en France, elle travaille à Cannes et à Arles dans le restaurant nomade et éphémère Paris PopUp de Harry Cummins, Laura Vidal et Julia Mitton. Fin 2017, elle rejoint Chez Passerini à Paris comme chef de partie avant de devenir seconde de cuisine de Giovanni Passerini, meilleur chef 2017 selon le Fooding.
Elle est ensuite propulsée par sa participation à la dixième édition de Top Chef, une médiatisation qui lui permet d’ouvrir son propre restaurant à Paris : Datsha le 31 Décembre 2019.
Angèle Ferreux-Maeght est une jeune chef cuisinière et traiteur française, née à Paris. Petite-fille du galeriste et marchand d’art Aimé Maeght, elle grandit entourée de passionnés d’art, mais aussi de cuisine et de la nature. Elle passe son enfance à Paris, rue Daguerre, et dans la ferme familiale du côté de Grasse. Alors qu’elle était au lycée, elle a eu l’intuition qu’il fallait qu’elle parte étudier à l’étranger. Elle se retrouve alors à San Francisco pour passer le bac et travailler au Ferry Building Market, l’un des marchés bio qui accueille les agriculteurs locaux. Elle s’envole ensuite pour l’Australie où elle va découvrir l’engouement pour le green juice. Elle se passionne alors pour cette healthy food, comprenant que la nourriture que nous absorbons a des conséquences sur notre santé et notre bien-être. À son retour en France, lors d’un stage de jeûne en Bretagne, elle fait une rencontre décisive : Céleste Candido, naturopathe, lui donne les clefs d’un mode de vie sain et en accord avec la nature. Angèle Ferreux-Maeght va commencer par des séjours détox qu’elle co-anime, un peu partout dans le monde puis elle monte son affaire de traiteur à domicile en 2012, avec le souci de proposer des recettes bio et sans gluten. Le succès est au rendez-vous. En parallèle, elle suit une formation de naturopathe et intègre à sa cuisine les notions qu’elle étudie. Très vite, elle est appelée par Inès de la Fressange ou Christian Louboutin : le milieu de la mode ne jure plus que par elle, et les fashion week sont des périodes particulièrement intenses pour son commerce. Finalement, elle ouvre un petit comptoir au cœur des Halles de Paris, La Guinguette d’Angèle, où elle sert ses plats healthy dans un décor coloré et bohème.
Le débat est lancé : non contentes de s’activer derrière les fourneaux, les femmes prennent de plus en plus la parole sur le sujet.
La journaliste Maria Canabal, a créé le Parabere Forum, à la fois un réseau, une rencontre annuelle et une appli toute neuve qui recense les supers femmes chefs dans le monde. Nora Bouazzouni a publié un essai à ce sujet « Faiminisme, quand le sexisme passe à table », de Nora Bouazzouni, un essai mordant sur la question.
« À la recherche des femmes chefs » un film de Vérane Frediani dresse le portrait de femmes chefs et met en lumière le talents de ces dernières équivalent à celui de leurs compères, même si pour l’instant elles sont moins représentées dans la course aux étoiles.
Autre sujet qui fait débat ces derniers temps : celui des violences en cuisine. Et si des cuisines plus féminines étaient aussi des cuisines exemptes de ce type de problèmes ?
Chez Lopp, on encourage tous les chefs de tous horizons. La cuisine est un art exigeant, nécessitant une précision de tous les instants. Mais c’est avant tout un métier de passion, de partage avec pour objectif… Offrir de bonheur et de beaux souvenirs à ceux qui la déguste.
Et si on cuisinait tous avec amour… ?